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Info-lettre - septembre 2021
DÉ-CO-LO-NI-SÉS
J'hésitais à poursuivre ces newsletter mensuelles. Il est vrai que celles-ci ne laissent personne indifférent et même suscitent des retours flatteurs ou non. Donc je continue, ne serait-ce que par fidélité à la résistance gandhienne enseignée par Shantidas (Lanza del Vasto) même si je suis en opposition avec les mêmes diverses personnes qui veulent faire la promotion de l’œuvre de ce dernier d'une manière sectorielle en privilégiant sa philosophie ou sa poésie.
Coup sur coup, j'ai suivi sur ARTE les 9 documentaires sur la guerre du Viet-nam. J'étais de plus en train de relire avec un œil nouveau et à la lumière du vécu de ces jours « l'Archipel du Goulag ». Qu'on ne s'y trompe pas : l'histoire hoquette étrangement.
Les documentaires d'ARTE sur la guerre au Viet-Nam démontrent avec pièces à l'appui, l'implication des colons français puis de l'armée américaine pour soutenir « coûte que coûte » (tiens, j'ai récemment entendu cela dans la bouche d'un président français!) la poursuite de la guerre, sachant dès le départ que c'était cause perdue. Mais il n'était pas question de perdre la face. 60000 morts côté GI, plus de 2 millions côté Viet-Nam Nord et Sud confondus. Les autorités au pouvoir, qu'ils se nomment Kennedy, Johnson, Nixon, Ford ou Ho Chi Min et Diem et consorts n'ont pas hésité à sacrifier des hommes pour valider leurs causes. Côté américain, dès 1960, on savait que la guerre serait perdue, Mac Namara en avait informé Kennedy et successeurs. Le peuple américain a largement manifesté son désaccord, mais la lutte contre le communisme a prévalu aux manifestations contre l'envoi de GIs, la plupart fils de pauvres ou noirs, ou hispanos. La propagande d’État ainsi que l'assujettissement des médias de l'époque pour arriver à leurs fins malgré le désaccord populaire n'est plus un mystère et révèle le fond de la diplomatie comme outil de manipulation et de coercition. Malgré cela, ce fut la plus belle défaite de la toute-puissante Amérique. C'est aussi la plus belle défaite pour le peuple vietnamien, converti très vite au capitalisme le plus sauvage sous administration communiste. Mais bon, c'est ça l'histoire de notre humanité.
Le retrait d'Afghanistan, tout récent, corrobore cette histoire piteuse et lamentable d'un Occident en perdition et de Talibans qui très vite trouveront le sens des affaires et perdront aussi vite leurs certitudes islamistes face au dieu argent. A suivre...
« L'Archipel du Goulag » rappelle, si nécessaire, la souffrance et les tourments durant près de cinquante ans de tous ces Russes, envoyés en prison par des commissaires-enquêteurs sans scrupule, lesquels se faisaient un devoir révolutionnaire, mais à l'abri, de mettre en cage, sous Staline en particulier, tous les « prétendants au pouvoir ou espions » qu'ils ne voulaient pas avoir entre les pattes. Des millions de Russes ordinaires, en particulier ceux qui rentraient des camps allemands étaient déportés (car forcément entachés d'idées occidentales), ceux qui étaient soupçonnés de trahison et de lâcheté puisque non morts à la guerre, ou se permettaient de penser et d'émettre un avis, tous en camp de redressement, par principe ! A eux de prouver leur innocence, sans possibilité de relation avec le reste du monde, et tous ceux, raflés à droite ou à gauche pour remplir les prisons, main d’œuvre gratuite et surexploitée, sous-alimentée. Ces faits font l'objet de la narration de Soljenitsyne. Histoires du vingtième siècle, illuminé par les Lumières...des siècles précédents.
Hitler, à partir de 1936, avant, pendant et après les Jeux olympiques, ne se gênait pas pour exiger de la jeunesse allemande une totale obéissance envers ses projets politiques. La suite, on la connaît... là, la délation est de mise et le délateur récompensé !
Cette volonté de pouvoir des technocrates ou de quelques malades et leurs collaborateurs n'est pas d'hier. Mais aujourd'hui cela prend des proportions qui dépassent l'imagination de ceux du dernier siècle.
Une histoire de virus est tombée pile poil. Des virus, il y en a toujours eu et bien avant l'homme. Ce n'est pas fondamentalement un ennemi. Que celui qui nous occupe en ce moment soit confiné dans une jungle ou sur le dos d'une chauve-souris ou les poils d'un pangolin, qu'il ait été « amélioré » ou rendu plus offensif dans un laboratoire chinois ou français, peu importe. Il est là. Ce monde ultra-urbanisé, mécanisé, accéléré, dynamisé, structuré, informatisé, chosifié, institutionnalisé, augmenté etc., etc., devra faire avec puisqu'il lui a fait son lit. « Coûte que coûte », on mettra en place une méthodologie de masse pour résoudre le souci. Sauf que ça ressemble au versement d'une eau bouillante sur une brûlure ! Regardons brûler nos forêts, les inondations nous engloutir, les océans manger nos littoraux, et clignons de l’œil, entre connaisseurs, en regardant vers la lune ou mars, car là est évidemment notre avenir, n'est-ce pas ?
Tout est lié, la dégradation de notre environnement explique l'émergence de maladies, tout comme la nourriture frelatée augmente l'obésité, le diabète ; l'air irrespirable doublé de pesticides et autres produits de la chimie procurent cancers, AVC, et quantité de troubles psychiques, neurologiques et respiratoires. Que vont pouvoir faire des vaccins pour améliorer ces conditions de vie ? Rien, parce que les vraies questions sont occultées.
La faim et la mal-bouffe tuent chaque année 2 millions de personnes, et l'économie mondiale en fin de course n'a d'autres solutions que se reproduire, à coup de croissance programmée, pour ne pas sombrer, tout en augmentant conséquemment les fléaux qui la hantent. Image du serpent qui mange sa queue.
Mais alors ?
Devant cette déferlante d'absurdités faites de mains d'hommes, ce qu'on appelle une fatalité active, comment s'inscrire dans la résistance ? Devant une programmation annoncée et rabâchée de propagande politique et médiatique pour imposer pass sanitaires, vaccins bientôt obligatoires, silence à toutes voix discordantes, et honte aux non-vaccinés, qu'est-il urgent de faire ?
A l'Arche, nous avons appris le « Rappel ». Six fois par jour la cloche nous invite à cesser l'activité en cours durant une minute. Le temps de se décoloniser de l'emprise des choses sur notre moi profond, et nous le faisons ensemble. Ce recentrage permet d'évacuer les fausses attractivités, informations qui passent, de s'évanouir les urgences non-urgentes, d'apaiser le mental accablé de problèmes. Ce retour à l'intériorité, debout et droit, ne durera pas, mais répété, il imprime une distance avec le vécu et, patiemment, remet à leur juste place toutes nos vanités. Ainsi le Rappel nous décolère, épure nos sentiments et ressentis, affûte nos regards sur l'actualité et ouvre un avenir.
La révolte ne sied pas, pas plus que la confiance aveugle aux autorités !
A ceux qui lui demandaient, par la voie diplomatique, d'accéder à l'indépendance, Gandhi les invitait au retour sur soi, sur les raisons qui ont amené la colonisation et ce que l'indépendance allait leur demander de transformation intérieure, outil indispensable de la transformation politique, sociale, économique, sanitaire, éducative et spirituelle.
C'est à l'évidence ce qui nous attend ces prochains mois ou années... Voyez donc ce texte intitulé « Quid India » où je perçois Gandhi, demandant aux Anglais de partir, invitant son peuple à se métamorphoser...
Louis Campana, septembre 2021
Quit India ! Et aujourd’hui ? Compte-rendu de conférence à l’Université Somaiya de Bombay, nov. 2008
Quit India ! Deux mots. Clairs, mordants et respectueux à la fois, mais sans concession.
Ce n’est pas en tout cas un coup de tête. Lorsque Gandhi invite les Anglais à quitter l’Inde, c’est pour leur permettre aussi de garder la tête haute d'autant qu'en 1942, les Japonais, ennemis des Anglais, menacent d'envahir l'Inde depuis la Birmanie. « Vous avez commis une énorme faute morale, éthique. Vous pourrez à l’avenir garder une certaine estime pour vous-mêmes en reconnaissant le préjudice subi par l’Inde, vous pourrez lier une amitié avec les Indiens et premièrement avec moi, mais quittez l’Inde. Que les Japonais s'en prennent à l'Angleterre, mais non à l'Inde ! »
Tels sont les mots que l’on peut imaginer dans la bouche de Gandhi. La colonisation que subit le colonisé est de diverses sortes. Il y a d’abord une colonisation militaire, une conquête territoriale, par un élément extérieur au pays. Il y a les éléphants, les tigres, la jungle, les rivières et bien d’autres choses intéressantes et parmi ces choses, des indigènes. Ces derniers font partie de la conquête, c’est gênant.
Pour asseoir sa suprématie, le conquérant va établir une administration de toutes ces conquêtes. En premier lieu, s’assurer de la collaboration des éléments, soit les plus cultivés, soit les plus aisés, en leur accordant des droits sur leurs propres biens et sur l’ensemble des indigènes qu’il va falloir gérer. Colonisation administrative et politique. Puis, colonisation commerciale. Toutes les ressources du pays sont passées au peigne fin, au seul but d’enrichir les colons et leur mère patrie. Il est évident qu’il est hors de question que les frais de l’administration du pays colonisé soient dus par les seuls commerçants honnêtes qui travaillent, jour et nuit, à l’exploitation en règle des richesses locales. Non ! Les colonisés, qui n’ont rien d’autre à faire, vont fournir la main d’œuvre gratuite, ou presque, pour permettre le développement de leur pays. De plus, des taxes, comme celle du sel, vont être établies, afin de faire sentir à ces ignorants combien ils coûtent cher. On en est arrivé à la colonisation mentale. Celle de la perte d’identité, de l’abandon de culture ancestrale. Gandhi a eu beaucoup de mal à faire se redresser un peuple devenu indifférent et convaincu que la colonisation était une nécessité, ou une fatalité. Il lui a fallu toute sa force de caractère, son combat quotidien de recherche de vérité, son respect permanent pour les autorités britanniques, et surtout sa compassion pour un peuple humilié, dépourvu de moyens, voué à l’échec s’il osait quelque tentative de rébellion.
Dans un passé récent, toutes formes de colonisation ont été bannies. Des règles juridiques et des lois internationales interdisent cela… C'est du moins ce que l'on croit !
Mais aujourd'hui ?
Invité par Geeta Metha, spécialiste de Vinôba, directrice d’un des 34 Instituts de l’Université Somaiya de Bombay, celle-ci me demandait de parler de l’Arche aux élèves et aux professeurs venus écouter une « personnalité occidentale » qui professe « la non-violence gandhienne ». Quelques heures auparavant, au milieu d’une ruelle, un homme assis, la cinquantaine, une jambe comme mangée par des vers, résigné, ne pouvant se déplacer. L’indifférence des passants. La gangrène l’achevait. Trente mètres plus loin, un sac de jute à terre, un enfant squelettique dormait ou mourrait. La misère frappait l’innocence. Au milieu d’une opulence sans honte. Pas seulement un contraste, ou un paradoxe, mais une constante, le karma.
On peut mourir en Inde sans émouvoir, il y a tant de misère, surtout à Bombay, capitale économique, il y a tant de richesse à s’emparer, et le fatras de la circulation, l’agression des klaxons, les étalages de vêtements, de légumes, d’objets en plastique, d’enfants qui mendient. Et Geeta qui me demande de parler de l’Arche ! Alors je parle de la guerre d’Algérie, des camps d’internement où étaient entassés ceux dont le faciès à lui seul était un délit, et les compagnons qui voulaient aussi être emprisonnés car se déclarant suspects eux aussi. Puis des paysans du Larzac, du jeûne de Lanza del Vasto, du serment des 103, refusant de céder leur terre, des moutons sous la Tour Eiffel, « la terre fait vivre, les armes font mourir », du combat actuel contre les OGM, de la résistance contre le nucléaire civil et militaire, etc, etc… Choses bonnes à entendre, certes. Mais… …Les multinationales sont là. Je ne fais pas de fixation. Elles sont là, impersonnelles, efficaces, intelligentes, diaboliquement bonnes. Pour deux flacons, le troisième est gratuit. Qui va s’en plaindre ?
La colonisation a réussi cette fois et personne ne s’en plaint. Alors, je leur dis que l’Occident n’est pas un modèle. Que nous sommes un ramassis de voleurs très honnêtes, car nous sommes les pays du droit. Nous avons pillé la planète. Cela a commencé avec l’Amérique du Sud, l’or des Indiens a considérablement enrichi l’Europe. Puis nous nous sommes jetés sur l’Afrique et sur l’Inde. Le marché établit le prix des matières premières par rapport aux besoins des nantis. La culture vivrière des pays pauvres est détruite, des commis de l’Occident proposent des rêves mensongers aux paysans illettrés, lesquels ruinés par de mauvaises récoltes se suicident ou s’alcoolisent. 100 000 suicides en Inde en deux ans. Il faut casser des œufs pour faire des omelettes.
Alors je dis à cette belle jeunesse indienne qu’ils ont des modèles, des vrais, Gandhi et Vinôba, qu’ils devront trouver des solutions pour échapper à la folie suicidaire de la croissance sans fin qui nous précipitera tous vers une fatalité active construite de mains d’hommes. Certes la fatalité passive, celle des orages, des tremblements de terre et des tsunamis, des inondations et des sécheresses, n’est pas de notre ressort ! Quoique, en cherchant bien, le changement climatique n’est pas dû aux Martiens. Mais la fatalité active, celle que nous fabriquons, jour après jour, consciencieusement, profit après profit, pour permettre la croissance, sou après sou, épée de Damoclès terrible, … Des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres, et les miettes de ce grand bazar libéral qui se font si rares.
Une jeune fille en sari, tout de jaune vêtue, 18 ans, me pose une question : « Vous dénoncez tous ces problèmes, avez-vous des solutions ? »
Martin Luther King était bien conscient de l’injustice des lois racistes, il n’avait que sa bonne conscience et son appétit de justice pour les dénoncer. Il a fallu un petit fait divers. Dans un bus, une femme fatiguée par sa journée de travail refuse de céder sa place dans le bus. Outrés, des blancs se chargent de créer un scandale. D’autres, au contraire, défendent Rosa Park, et la félicitent pour son courage.
Ainsi est née une formidable résistance à la loi injuste, de désobéissance civile en désobéissance civile, de boycott en boycott, les lois furent changées par l’État fédéral sans pour cela développer un parti politique particulier de plus. Quand le peuple s’assoit, les parlements tremblent.
Lorsque Gandhi se leva, ce matin-là, à l’ashram de Sabarmati, à Amhalabad, pour partir vers l’océan à plus de 200 kilomètres pour aller chercher le sel dont il avait besoin pour sa cuisine, lequel était taxé très fortement par l’administration britannique, peu de monde l’accompagna. Il partit en précisant ce qu’il allait faire. Tant qu’il ne l’avait pas fait, il n’était pas en infraction. Jour après jour, là où il passait, il expliquait le mécanisme de la colonisation, beaucoup se rallièrent à lui. L’administration britannique, lorsqu’il eut franchi le pas de la récolte du sel, l’emprisonna. Ce qu’il apprécia fortement, réclamant pour lui la sentence la plus conforme au droit anglais, pas de pitié, ou alors la démission des juges, au cas où leur conscience serait mal en point.
Quelles solutions pour aujourd’hui ? Elles sont à inventer, on ne répète pas le passé. Je fais confiance aux jeunes d’aujourd’hui, dans le monde entier pour réenchanter la Vie. Vous ne pouvez vivre en vous satisfaisant de gadgets dans la prison dorée que vous promettent les quelques cent multinationales qui demain gouverneront le monde.
L’action politique est incapable maintenant de résister aux sirènes des marchés financiers. Dans cette prison mentale où on vous promet l’eau chaude et l’eau froide, les robinets en or, et l’assurance que vos moindres désirs seront transformés en réalité, demandez une seule chose, essentielle, demandez et recherchez la clé pour sortir.
Mais la colonisation mentale n’est pas seulement le fait des multinationales. Cet embrigadement de la pensée peut venir de partout. Être libre est un combat de chaque jour. Ainsi les religions, les associations de tous genres, les institutions, les organisations et tous les mots en –isme sont des corrupteurs. J’ai beaucoup de respect, elles sont indispensables à la vie sociale, et les trouvent souvent au service des populations. Mais elles sont aussi des prisons. Le Christ n’a pas fabriqué de système. « La Vérité vous rendra libre » a-t-il dit, pas les dogmes, même s’ils sont vrais. Parce qu’on n’enferme pas la vie dans des certitudes immuables, mais elle se développe et s’épanouit au creux des errances et des évidences, souvent aussi dans des rébellions et des désobéissances.
Quit India ! Que chacun retrouve sa liberté, l’accorde aux autres, donne sa vie et accueille la vie de l’Autre.
Louis Campana, novembre 2008 Chapitre 9, pages 267 à 270, Un Bonheur à construire...entre errance et évidences, Louis Campana, Éditions Gandhi International.
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